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Analyse juridique du concept "Villa Family"

Logements indépendants, établissements ou accueils familiaux ? Les arguments de Bernard de FROMENT – "La Vie Départementale et Régionale" n° 219, janvier 2004.

L’accueil familial Accueil familial Alternative au maintien à domicile et au placement en établissement spécialisé : les personnes handicapées ou âgées sont prises en charge au domicile de particuliers agréés et contrôlés par les conseils départementaux (ou par des établissements de santé mentale). L’accueil peut être permanent (contrat conclu pour une durée indéterminée) ou temporaire, à temps complet (24h/24) ou à temps partiel (exemple : accueil de jour), ou séquentiel (exemple : un weekend tous les mois). organisé des personnes âgées et handicapées peut-il être assimilé à de l’accueil en établissement ?

La terrible canicule de l’été 2003 et ses conséquences dramatiques pour de nombreuses personnes âgées, mortes seules chez elles, faute de soins et d’affection, victimes d’une déshydratation que l’on aurait pu facilement éviter, relance le débat sur l’accueil des personnes âgées et les conditions dans lesquelles celui-ci est assuré.
Assurément, un nombre non négligeable de personnes âgées répugne à l’idée de terminer leur vie dans une maison de retraite, quelle que soit la qualité des soins que l’on y reçoit. Il faut donc bien que les pouvoirs publics prennent acte de ce constat en facilitant l’organisation de l’accueil familial.

Celui-ci, en effet, ne peut pas être laissé seulement à l’initiative de quelques volontaires qui, dans des maisons ou appartements peu conçus pour l’accueil de personnes à mobilité réduite (et ce n’est pas le seul handicap de ces dernières), n’offrent pas les meilleures garanties d’un accueil réussi. Or, celui-ci est non seulement indispensable au succès de la formule, mais la nécessaire qualité de l’accueil est gravée dans le marbre de la loi. Rappelons, en effet, qu’aux termes de l’article L. 441-1 du code de l’action sociale et des familles (C.A.S.F) dans sa rédaction issue de l’article 51 de la loi du 17 janvier 2002 : « L’agrément ne peut être accordé que si les conditions d’accueil garantissent la continuité de celui-ci, la protection de la santé, la sécurité et le bien-être physique et moral des personnes accueillies, si les accueillants se sont engagés à suivre une formation initiale et continue et si un suivi social et médico-social de celles-ci peut être assuré ».

Conscient que l’accueil familial ne pouvait pas se professionnaliser si le nombre de personnes accueillies par un même accueillant familial accueillant familial
accueillants familiaux
Agréés pour prendre en charge à leur domicile des personnes âgées ou handicapées adultes n’appartenant pas à leur propre famille, les accueillants familiaux proposent une alternative aux placements en établissements spécialisés.
restait limité à deux (solution applicable sous l’empire de la loi du 10 juillet 1989 où seule une dérogation permettait l’accueil d’une troisième personne), le législateur de 2002 a repoussé cette limite à trois. Certes, il s’agit d’un maximum et non d’un droit, car il est clair que tous les accueillants familiaux n’ont pas vocation à recevoir à leur domicile trois personnes âgées ou handicapées. Mais cela signifie tout de même que si les accueillants offrent les garanties nécessaires, tant sur le plan de leur compétence qu’au niveau de leurs capacités d’hébergement, pour recevoir à leur domicile trois personnes, le président du conseil général sera tenu de leur accorder un agrément en ce sens.

Toutefois, la question, dans l’immédiat, est de savoir si les conseils généraux sont prêts à jouer le jeu de l’accueil familial professionnalisé et si certains ne seront pas tentés d’empêcher le développement de la formule en limitant systématiquement l’agrément à l’accueil d’une ou deux personnes et en assimilant les structures d’accueil familial organisé qui voient aujourd’hui le jour à des établissements et services sociaux et médico-sociaux relevant à l’origine de la loi du 30 juin 1975 et désormais de l’article L. 312-1 du code de l’action sociale et des familles.

Une telle attitude serait non seulement contraire à la loi, ce qui devrait conduire ceux qui en sont victimes, en particulier les accueillants familiaux professionnels, à saisir les tribunaux, notamment en référé (I). Mais elle serait contraire à l’intérêt des personnes âgées et handicapées, car elle conduirait les promoteurs de l’accueil familial organisé à imaginer des formules pouvant fonctionner en dehors du contrôle des conseils généraux, dans des conditions difficiles à contester sur le plan légal (II).

I - En refusant, par principe, l’agrément des accueillants familiaux professionnels dont l’activité se verrait assimilée à celle d’établissements sociaux et médico-sociaux, les conseils généraux commettraient une illégalité que ne manquerait pas de sanctionner le juge administratif.

1- Que faut-il entendre par accueillant familial professionnel ?

Une telle affirmation suppose, pour être valable, que l’on définisse, au préalable, ce que nous entendons par « accueillant familial professionnel ».

C’est la personne ou le couple qui, dans un logement ou une maison initialement conçu ou spécifiquement aménagé pour l’accueil de personnes âgées ou handicapées, tire de son activité d’accueil des revenus professionnels qui lui permettent d’en vivre sans l’apport obligatoire d’autres ressources. S’agissant d’un métier véritable, et non d’un sacerdoce, cette activité doit rester compatible avec une vie familiale et la possibilité de se reposer et de se distraire :

  • d’où la nécessité, naturellement, de pouvoir se faire remplacer à l’occasion de longs week-ends ou de vacances, ce qui implique d’être en contact avec une structure (association ou société spécialisée par exemple) fournissant, à la demande, des « accueillants familiaux professionnels temporaires » à laquelle l’accueillant familial peut faire appel dans de telles circonstances ;
  • d’où l’intérêt, également, de travailler dans un réseau de solidarité encore plus proche : le voisinage. Un accueillant familial, à plus forte raison, lorsqu’il s’agit d’une personne seule et non d’un couple, doit pouvoir compter sur ses voisins comme le ferait une vraie famille « naturelle », pour pouvoir s’absenter pour des durées courtes : le temps d’une course, d’une démarche administrative, d’une sortie et même d’un court week-end, à condition que la prise en charge temporaire par la famille voisine soit totalement assurée et qu’elle le soit sur la base d’une convention, (agréée par le conseil général et la commune d’implantation partenaire de la formule), prévoyant à la fois la réciprocité et la gratuité de l’entraide.

Ce caractère professionnel de l’accueil justifie la réalisation d’aménagements particuliers conduisant même à la construction de maisons spécialement conçues pour l’accueil familial, selon un schéma qui est généralement le suivant :

2- L’accueil familial professionnel n’est pas assimilable à de l’accueil en établissement :

2-1. La législation applicable à l’accueil en établissement :

Aux termes de l’article L. 312-1 du code de l’action sociale et des familles : « Sont des établissements et services sociaux et médico-sociaux... les établissements et les services, dotés ou non d’une personnalité morale propre, énumérés ci-après : 6° Les établissements et les services qui accueillent des personnes âgées ou qui leur apportent à domicile une assistance dans les actes quotidiens de la vie, des prestations de soins ou une aide à l’insertion sociale ou bien qui leur assurent un accompagnement médico-social en milieu ouvert ; 7° Les établissements et les services, y compris les foyers d’accueil médicalisé, qui accueillent des personnes adultes handicapées, quel que soit leur degré de handicap ou leur âge, ou des personnes atteintes de pathologies chroniques, qui leur apportent à domicile une assistance pour les actes quotidiens de la vie, des prestations de soins ou une aide à l’insertion sociale ;... /... Les établissements ou services qui assurent l’accueil et l’accompagnement de personnes confrontées à des difficultés spécifiques en vue défavoriser l’adaptation à la vie active et l’aide à l’insertion sociale et professionnelle ou d’assurer des prestations de soins et de suivi médical,.../... ».

Or, en vertu des articles L. 3.13-1 et L. 313-3 du même code, la création, la transformation ou l’extension des établissements et services mentionnés aux 6° et 7° de l’article L. 312-1 sont soumises à l’autorisation du président du conseil général, « lorsque les prestations qu’ils dispensent sont susceptibles d’être prises en charge par l’aide sociale départementale ».

Enfin, le C.A.S.F. prévoit, également, dans son article L. 313-15, que « L’autorité compétente met fin à l’activité de tout service ou établissement créé, transformé ou ayant fait l’objet d’une extension sans l’autorisation prévue à cet effet... ».

2-2. Les textes régissant les établissements et services sociaux et médico-sociaux ne s’appliquent pas aux accueillants familiaux recevant trois personnes, même lorsqu’ils exercent leur activité de façon professionnelle, dans le cadre d’un réseau d’entraide et de services organisés :

2-2-1. Les adversaires de l’accueil familial organisé et professionnel soutiennent qu’une telle forme d’accueil ne revêt pas un caractère familial, dès lors :

  • d’une part, que l’accueillant familial n’est, en réalité, que le préposé du propriétaire de la maison d’accueil qui, étant l’organisateur ou, du moins, faisant partie d’un réseau de maisons fonctionnant selon le même modèle, est en fait le dirigeant d’un établissement social et médico-social « clandestin » ;
  • d’autre part, que les maisons d’accueil familial, lorsqu’elles sont jumelles, ne regroupent pas trois mais six personnes âgées ou handicapées, si bien que le plafond de trois personnes maximum par accueillant familial est, dans les faits, détourné ;
  • enfin, et en tout état de cause, que l’accueil n’a pas lieu au domicile réel (c’est-à-dire préexistant à la prestation) de l’accueillant familial mais à un « pseudo - domicile » qu’il acquiert pour recevoir des personnes âgées ou handicapées.

2-2-2. De tels arguments ne sont pas de nature à remettre en cause le caractère véritablement familial de ce type d’accueil :

En effet et, d’une part, les éléments constitutifs de l’accueil familial sont présents dans l’accueil familial organisé :
Aux termes de l’article L. 441-1 du C.A.S.F., ce sont :

  • des conditions d’accueil garantissant : la continuité de celui-ci ; la protection de la santé, la sécurité et le bien-être des personnes accueillies ;
  • l’engagement des accueillants à suivre une formation initiale et continue ;
  • la possibilité d’assurer un suivi social et médico-social des personnes accueillies.

Or, ces éléments constitutifs sont d’autant plus présents que les accueillants familiaux appartiennent à un système d’accueil davantage organisé : c’est vrai, en particulier, de façon évidente, pour la continuité de l’accueil et pour la formation des accueillants familiaux.

D’autre part, les accueillants familiaux professionnels organisés conservent leur indépendance et leur autonomie par rapport au réseau auquel ils appartiennent.

Peu importe, à cet égard, que l’accueillant familial soit, au départ, sélectionné par une société privée ou une association, à caractère national ou régional et qu’il puisse s’appuyer sur les structures et les moyens mis à sa disposition par le réseau mis en place par cette organisation.

L’important, en effet, est que :

  • la personne ou le couple agréé par le président du conseil général ne soit pas en situation de dépendance ou de subordination par rapport à « l’organisation de services et de moyens » à laquelle il appartient. Concrètement, cela signifie, d’abord, que l’accueillant familial ne doit, en aucun cas, être le salarié direct ou indirect de cette organisation. Locataire d’une maison appartenant à un propriétaire faisant partie d’un réseau dédié à l’accueil familial de personnes âgées ou handicapées, l’accueillant familial paie son loyer et rémunère les services qui lui sont assurés (essentiellement le service de remplacement et les charges communes correspondant au fonctionnement du réseau).

Il n’est, en revanche, en aucun cas, le préposé ou l’employé de son propriétaire ou du réseau dont fait partie la maison d’accueil familial. Cette situation est, en réalité, comparable à celle d’un « franchisé ». L’obligation d’indépendance et d’autonomie s’exerce, également, ensuite, par rapport aux autres accueillants familiaux, notamment, dans le cas de maisons d’accueil familial jumelles : l’entraide est naturellement possible et souhaitable, mais, d’une part, la responsabilité est personnelle et non partagée et, d’autre part, les remplacements de courte durée entre les deux accueillants, comme la présence surnuméraire de personnes accueillies au domicile du voisin, n’ont pas de caractère onéreux : l’accueil ne concerne pas six personnes prises en charge dans une même structure, mais deux ensembles de trois personnes, chaque ensemble étant placé sous la responsabilité d’un accueillant familial. Ainsi, cette forme d’accueil ne tombe pas sous le coup du dernier alinéa de l’article L. 313-1 du C.A.S.F. qui soumet à l’autorisation applicable aux établissements : « les couples ou... personnes qui accueillent habituellement de manière temporaire ou permanente, à temps complet ou partiel, à leur domicile, à titre onéreux, plus de trois personnes âgées ou handicapées adultes » ;

  • l’accueillant familial dispose des mêmes droits et prérogatives que n’importe quel autre accueillant familial par rapport aux personnes accueillies. Locataire de la maison d’accueil familial, l’accueillant héberge à son domicile des personnes âgées ou handicapées, dans la limite de trois, et celles-ci lui paient un prix de pension, calculé selon la réglementation en vigueur, en particulier concernant l’aide sociale ;
  • l’accueillant familial se soumette, dans les conditions de droit commun, aux contrôles opérés par le président du conseil général et ses services sur le respect des conditions prévues par son agrément.

Enfin, est-il besoin de dire que l’argument selon lequel le domicile de l’accueillant familial doit préexister à sa demande d’agrément ne semble pas recevable, dès lors qu’il est acquis que l’accueillant y résidera effectivement une fois son agrément obtenu ?
En cas de refus d’agrément de candidats à l’accueil familial désireux d’exercer cette activité professionnelle dans le cadre d’un réseau organisé, le juge administratif devrait en toute logique sanctionner l’illégalité commise par le président du conseil général.

Il convient, certes, de bien préciser les choses. Un refus d’agrément, pour de bons motifs, est toujours possible. L’enquête menée par les services du conseil général peut naturellement faire apparaître que le candidat à l’accueil familial (couple ou personne seule) ne répond pas aux conditions de moralité, de fiabilité ou de stabilité que l’on est en droit d’exiger dès lors qu’il s’agit d’être capable de prendre en charge des personnes particulièrement vulnérables. Le président du conseil général pourra, d’ailleurs, être d’autant plus exigeant sur le respect des critères à remplir que l’agrément demandé portera sur trois personnes et non pas seulement sur une ou deux.
Mais le président du conseil général commettrait une erreur de droit s’il refusait, par principe, l’agrément sollicité en fixant comme règle, notamment pour éviter la professionnalisation de l’accueil familial, que les agréments sont, dans le département, limités à deux.

L’erreur de droit, nous le croyons, ne serait pas moins certaine, quoique plus subtile à détecter, si ce même président, entendait, à titre probatoire, limiter systématiquement à une personne accueillie l’agrément accordé lors de la première demande d’agrément. Une période probatoire de ce type, en effet, ne pourrait être imposée qu’à des personnes dont le profil incertain pourrait justifier une précaution aussi forte. L’institution d’une telle règle nouvelle dans des départements où elle n’existait pas jusqu’alors devrait être regardée par le juge comme un détournement de la règle selon laquelle l’accueil familial peut, désormais, porter sur trois personnes.

De même, comme nous croyons l’avoir montré, une attaque frontale de conseils généraux fondée sur le fait que l’accueil familial organisé dans le cadre d’un réseau serait assimilable à une activité d’établissement, justiciable, à ce titre, des procédures et agréments prévus par les articles L. 312-1 et suivants du code de l’action sociale et de la famille, ne résiste pas à l’analyse. Le juge, en effet, raisonnerait de façon concrète, comme nous l’avons fait, en allant chercher, derrière les apparences, si les conditions de l’accueil familial sont ou non réunies. Dès lors qu’il aura la conviction, d’une part, que l’accueil familial organisé ne place pas l’accueillant en situation de dépendance, c’est-à-dire dans une sorte de statut de salarié déguisé de l’organisation dont il est le « franchisé », et, d’autre part, que les relations entre accueillants familiaux voisins n’ont pas de caractère financier, il fera droit aux conclusions des candidats à l’agrément dont la demande aura été refusée au motif fallacieux que l’activité qu’ils souhaitent exercer ne relèverait pas de l’accueil familial.

Bien plus, satisfaction pourrait être donnée aux requérants en référé, dans la mesure où, comme on le sait, le juge des référés est, depuis la loi du 30 juin 2000, entrée en vigueur le 1er janvier 2001, et la jurisprudence intervenue depuis le confirme, devenu beaucoup plus accessible. En l’espèce, les « déboutés de l’agrément » pourraient utilement saisir le juge des référés du tribunal administratif d’un « référé-suspension » sur la base de l’article L. 521-1 du code de la juridiction administrative, puisque, étant empêchés de travailler par le refus d’agrément, ils n’auraient guère de difficulté à convaincre le juge que la condition d’urgence posée par cet article est réunie.

II - Refuser, par principe, la professionnalisation de l’accueil familial des personnes âgées et handicapées serait contraire à l’intérêt des personnes âgées et handicapées, car une telle attitude conduirait les promoteurs de l’accueil familial professionnalisé à organiser, dans des conditions difficiles sur le plan légal, l’accueil en dehors du contrôle des conseils généraux.

Si l’accueil familial de personnes âgées ou handicapées consiste dans « l’accueil par des particuliers à leur domicile, à titre onéreux, de personnes âgées ou handicapées adultes, sous réserve d’un agrément donné par le président du conseil général et de l’existence d’un contrat écrit entre la personne âgée et la famille d’accueil » (Marie-Eve Joël in « La protection sociale des personnes âgées en France », collection « Que sais-je ? »), on peut imaginer des solutions proches, aboutissant au même résultat.

Le maintien à domicile de personnes âgées ou handicapées est possible dans un cadre autre que leur domicile d’origine ou que l’accueil familial classique car des personnes dépendantes peuvent faire le choix d’habiter ensemble, dans un logement adapté à leurs besoins, distinct de celui de l’auxiliaire de vie qu’elles emploient en commun.

En effet, l’accueil familial organisé, tel que nous l’avons présenté en première partie, peut (sans que la réalité et la nature des rapports entre personnes dépendantes et celles assurant leur prise en charge soient, en réalité, modifiées), être organisé dans un cadre juridique différent. Dans un cadre, par exemple, dans lequel des personnes âgées ou handicapées habitant à leur domicile emploieraient pour les aider dans les actes quotidiens de la vie (cuisine, ménage, toilette, soins courants,...) un(e) employé(e) de maison très qualifié(e), rémunéré(e) par chèques emploi service.

Une telle solution, pour être légalement possible, exige, cependant, que le juge ne requalifie pas la formule que nous venons d’esquisser en accueil familial clandestin.

1- Une jurisprudence à juste titre encline à sanctionner les détournements de procédure sera invoquée par les adversaires de l’accueil familial organisé

Le Conseil d’État et, à sa suite, l’ensemble des juridictions administratives, sanctionnent les « détournements de l’accueil familial ». La base de cette jurisprudence est une série de quatre décisions de la haute juridiction en date du 29 décembre 1995, dont l’une, DEPARTEMENT DU NORD contre M. Debaillie, est publiée au Recueil Lebon page 461 et ainsi fichée par le Conseil d’État dans ses analyses de jurisprudence : « Un immeuble comportant des logements consistant en de simples chambres avec cabinet de toilette tandis que des installations sanitaires, la cuisine et la salle à manger relèvent des parties communes, et dont les locataires, âgés et pour la moitié d’entre eux invalides, ne peuvent en raison de leur état et de la configuration des locaux vivre de façon indépendante, doit être regardé comme un établissement qui assure l’hébergement des personnes âgées au sens de l’article 3 de la loi du 30 juin 1975 ».

A cet égard, on précisera que le commissaire du gouvernement Christine Maugüé ne s’est pas arrêtée aux apparences, c’est-à-dire aux appellations et aux montages juridiques retenus, mais a proposé au Conseil d’État, qui l’a suivie, la requalification en établissements régis par la loi du 30 juin 1975 de structures dans lesquelles des personnes âgées, elles-mêmes locataires, étaient censées résider à leur domicile, alors qu’un faisceau d’indices, tels l’existence de services collectifs, un mode d’organisation de la vie collective, la présence d’un responsable ayant un rôle social ou médico-social et l’existence d’un lien de fait entre l’organisme gestionnaire des logements et le prestataire de services intervenant auprès des résidents, démontrait le caractère factice du domicile personnel de la personne âgée.

Il existe cependant des montages juridiques ingénieux rendant plus difficile la requalification par le juge :

2- Les écueils à éviter pour ne pas risquer la requalification par le juge

2-1. Dans ces montages, on évitera :

1) qu’un lien direct d’ordre juridique ou financier puisse être établi entre le propriétaire des logements (particulier ou S.C.I.) et leurs occupants, qu’il s’agisse de la personne s’occupant des personnes âgées ou handicapées ou de ces dernières elles-mêmes ;

2) que les personnes âgées ou handicapées colocataires soient plus de trois par logement et que ce logement ne soit pas totalement indépendant de celui de la personne qui leur vient en aide comme de celui d’autres personnes âgées ou handicapées vivant à proximité ;

3) enfin, que des rapports de nature financière, interviennent entre les personnes en charge des personnes âgées ou handicapées amenées à se remplacer.

2-2. Le montage proprement dit : On peut ainsi imaginer qu’un propriétaire donne à bail une résidence constituée d’un ensemble de logements, (selon le dispositif d’investissement fiscal retenu), soit à une société de gestion fonctionnant dans le cadre du nouveau dispositif prévu par la loi Robien, soit à une société d’exploitation hôtelière si l’investisseur est loueur en meublé professionnel ou non professionnel.

La société de gestion ou d’exploitation hôtelière sous-loue, alors, les logements à deux « employés de maison très qualifiés », totalement indépendants l’un de l’autre, chacun d’eux prenant à bail, un logement destiné à son propre hébergement et un logement, qui, dans le cadre de la convention avec le promoteur, fera l’objet d’une deuxième sous-location à trois personnes âgées ou handicapées.

Ces dernières, à la différence des situations ayant conduit aux précédents jurisprudentiels du 29 décembre 1995, pourraient plus difficilement être regardées comme n’étant pas à leur domicile puisqu’elles ne seraient pas locataires seulement d’une chambre, mais d’un véritable logement. Celui-ci serait, certes, partagé avec deux autres personnes, mais il n’en conserverait pas moins les caractéristiques d’un vrai logement dans la mesure où il présenterait toutes les fonctionnalités d’un logement autonome (cuisine, pièce de séjour, chambre, cabinet de toilette avec douche et sanitaire individuels, entrée indépendante). De même qu’il serait indépendant du logement de l’employé(e) de maison très qualifié(e), ce logement serait tout aussi indépendant de celui des trois voisins âgés ou handicapés occupant l’appartement mitoyen de la villa jumelle, ce qui éviterait le franchissement du seuil de trois au-delà duquel commence l’établissement...

Un logement supplémentaire, sous-loué, à la demande, par la société de gestion, pourrait être également prévu pour l’accueil ponctuel des familles des personnes âgées ou handicapées, ou pour le logement du remplaçant de l’un des deux employés de maison très qualifiés pendant ses absences (congés annuels, longs week-ends).

2-3. Les risques politiques que prendrait un président de conseil général à vouloir fermer une structure d’accueil créée en partenariat avec une commune : Si, en effet, on a pris soin de réaliser l’opération en plein accord avec la commune d’implantation et avec son aide, l’opération sera difficile à démonter : un désaccord avec un promoteur est naturellement toujours possible, mais un conflit ouvert avec une commune et la population conduisant à la fermeture d’une structure d’accueil pour personnes très vulnérables créée à l’initiative de la commune serait politiquement très risqué pour un conseil général. Quel préfet, d’ailleurs, serait prêt à y apporter son concours en utilisant la force publique ?

De même, serait difficile à mettre en œuvre une solution plus pernicieuse consistant à « s’attaquer » aux personnes âgées ou handicapées elles-mêmes consistant, par exemple, à leur refuser les prestations d’aide sociale auxquelles elles ont droit, notamment l’allocation personnalisée à l’autonomie (A.P.A.).

Dans la pratique, l’accord entre le promoteur et la commune d’accueil prendra généralement la forme d’une convention portant non seulement sur la finalité de l’opération et la destination des logements mais sur ses modalités.

Cette convention pourra, en particulier, prévoir la mise à disposition gratuite des terrains, une garantie des emprunts contractés et le retour dans le patrimoine de la commune de l’immobilier construit en cas de défaillance du promoteur ou de changement de destination non autorisé des logements et, bien sûr, en tout état de cause, (car l’opération doit être équilibrée au regard de l’intérêt général), à la fin du bail emphytéotique de mise à disposition du terrain.

2-4. Plutôt que de courir de tels risques, les conseils généraux hostiles à l’accueil familial organisé estimeront, sans doute, préférable de jouer les « Ponce Pilate » :

C’est ainsi, et l’exemple, nous paraît tout à fait illustratif de ce comportement, qu’un conseil général (qui se reconnaîtra peut-être) vient d’écrire à une candidate qui s’était vu refuser son agrément en tant que famille d’accueil que le dispositif mis en place d’employée à domicile payée par chèques emploi service que nous venons de décrire, n’appelait pas de remarque de sa part « si ce n ’est que vous ne pouvez accueillir plus de trois personnes à la fois ». Et le courrier se terminait par ces considérations qui se passent de commentaires : « Vous n’êtes plus famille d’accueil, votre demande de recours gracieux est donc devenue sans objet... Vous devenez donc seule responsable de tout incident pouvant survenir lors de vos interventions auprès des personnes âgées ».

2-5. L’habileté juridique entretenue par l’alliance commune - promoteur n’est qu’un pis-aller, l’intérêt général conduisant à permettre aux présidents de conseil général d’exercer le contrôle prévu par la loi :
Force est de constater, en effet, que si l’habileté juridique à laquelle seraient contraints promoteurs de l’accueil familial professionnalisé et les communes peut permettre de contourner l’opposition de principe de certains conseils généraux à la délivrance d’agrément de familles d’accueil souhaitant conduire leur activité dans le cadre d’un réseau organisé, une telle solution ne peut être qu’un pis-aller, il importe, en effet, que les présidents de conseil général et leurs services puissent exercer la mission d’encadrement et de contrôle que leur reconnaît la loi. Et ce, naturellement, dans l’intérêt bien compris des personnes âgées et handicapées particulièrement vulnérables.


Le Premier ministre, M. Jean-Pierre Raffarin, a présenté le 6 novembre dernier, un « plan de solidarité et de fraternité pour les personnes dépendantes ». Il est clairement affirmé, dans le cadre de ces mesures, « qu’une politique du tout établissement ne correspondrait pas aux évolutions à venir et aux aspirations profondes des personnes âgées et de leurs familles ». Le développement de l’accueil familial rentre incontestablement dans le champ d’application de ce plan. Or, la formule, chacun en est bien conscient, ne pourra se développer que si cet accueil familial se professionnalisé, dans le cadre de logements spécialement conçus à cet effet et de dispositions imaginées pour que les familles d’accueil, comme tout un chacun, puissent se reposer. Ce qui implique, à la fois, qu’elles soient autorisées à se remplacer pour de courtes durées, et que soit mis en place, lorsqu’il s’agit de durées plus longues, un service de remplacement.

On peut, certes, imaginer que les collectivités publiques elles-mêmes veuillent se lancer dans la construction de maisons et dans le développement de réseaux : il n’est pas certain que cela soit la solution la plus économique, ni la plus souple. La solution du partenariat public - privé paraît, dans ce domaine, bien préférable. D’ailleurs, les prix de journée affichés en accueil familial organisé dans le cadre d’un tel partenariat sont très attractifs et nettement meilleur marché que ceux des maisons de retraite... Certains conseils généraux l’ont compris, tel celui de Saône-et-Loire qui, sous l’impulsion de son président, le Docteur René Beaumont, vient de signer une convention de partenariat avec un promoteur privé spécialisé dans la conception et la construction de maisons d’accueil familial, convention sur la base de laquelle seront prochainement implantées dans ce département deux structures de ce type.

Il reste à convaincre le plus grand nombre que le tout établissement dans la France de 2003 n’est plus la panacée.

Maître Bernard de Froment, Avocat au barreau de Paris.

P.-S.

Observations et réserves de l’association Famidac :

Le concept "Villa-Family" propose d’offrir à des investisseurs à la recherche d’outils de défiscalisation, la possibilité d’intervenir dans le domaine médico-sociale (on parle "d’or gris").

Ce concept se développe à partir de villas doubles formées par accolement de deux cellules comportant chacune,

  • au rez-de-chaussée, les locaux affectés à l’accueil : espace de vie collectif, trois chambres individuelles équipées d’une salle d’eau et de toilettes,
  • à l’étage, le logement privé de la famille d’accueil.

Chacune des deux cellules communique afin que les familles d’accueil puissent se remplacer lors d’absences ponctuelles et de leurs congés. Ce concept n’est donc viable qu’au prix de concessions au dispositif législatif et réglementaire consenties par l’autorité administrative :

  • s’agissant de la capacité d’accueil, il n’est pas possible de pratiquer par une montée en charge progressive ; dans ce système, pour garantir la solvabilité de l’accueillant qui doit supporter d’emblée le coût de son logement et des trois chambres destinées aux personnes accueillies, l’agrément est systématiquement et d’emblée délivré pour trois personnes ;
  • pour ce qui est du nombre maximal de personnes accueillie, chaque accueillant "remplace" son voisin pendant les congés et absences ponctuelles de celui-ci, c’est-à-dire que pendant cette période, il a en charge non plus trois mais six personnes accueillies ; or, aux termes de l’article L.444-4 du code de l’action sociale et des familles, le nombre de journée maximale travaillée par un accueillant familial est de deux cent cinquante huit jours, ce qui conduit à remplacer sur cette même période et pendant cent sept jours (soit plus de 40 % de son temps d’activité) la famille d’accueil "jumelle", il va sans dire que durant cette période, il est nécessairement en surcapacité ;
  • s’agissant de la notion même d’accueil familial, il semble que si la lettre de la loi est respectée (les accueillis et l’accueillant vivent "sous le même toit"), l’esprit de la loi est totalement bafoué : l’accueil familial implique nécessairement l’intégration dans la famille, il s’agit d’un principe qui avait été élaboré par la loi n° 71-1540 du 24 décembre 1971 et son décret d’application n° 72-990 du 23 octobre 1972 (article 12) aux termes desquels "Sont considérées comme établissements, au sens de l’article 203 du code de la famille et de l’aide sociale et des dispositions du présent titre, les installations aménagées par une personne morale de droit privé pour l’hébergement collectif et permanent de personnes âgées, d’adultes infirmes, d’indigents valides et de personnes accueillies en vue de leur réadaptation sociale, quel que soit leur nombre, sans les insérer dans une famille."

Ce texte a été partiellement abrogé en ce qu’il n’existe plus en matière de personnes âgées et adultes handicapées d’établissements soumis à déclarations tous étant désormais soumis à autorisation préalable. Cependant, il demeure comme critère jurisprudentiel du "vivre ensemble" pour déterminer le régime applicable à de tels accueils réglementés.

Pour l’association Famidac,
Maître Bernard DEBAISIEUX
diplômé d’Études Supérieures en Droit des Interventions Sanitaires et Sociales des Collectivités Territoriales
Avocat au Barreau de Toulouse.